La principale statue de Lénine était – ou: est encore? Les média ne donnent pas d’informations sur la Bachkirie – sur une grande place face aux tribunes des défilés. Elle cadrait bien avec la ville, son climat, et les autres monuments.
Le climat
Les saisons
Le printemps soviétique commence le 1er mars
L’été le 1er juin
L’automne le 1er septembre
L’hiver le 1er décembre
Quand je me suis étonnée, l’étonnement bachkir a été égal au mien.
-« Dès le premier mars les signes de dégel sont évidents, les bourgeons se forment… » m’a-t-on affirmé.
-« C’est juste, mais la date officielle du printemps, géographique pourrait-on dire, est le 20 ou 21 mars. »
-« L’URSS est le plus grand pays du monde: c’est pour tenir compte de toutes les républiques. »
Je suis sans voix. Et me voilà essayant de me souvenir de la définition des saisons. Est-ce-que la latitude intervient ? J’ai beaucoup de mal à retrouver dans ma mémoire, la définition de l’équinoxe de printemps, vers le 21 mars où la durée de la nuit est égale à celle du jour sur toute la terre; de même pour l’équinoxe d’automne vers le 21 septembre : je peine aussi pour la définition des solstices d’été et d’hiver !
Quant à les faire admettre aux interprètes bachkires (et de formation littéraire!): c’est encore une invention occidentale!… On n’insiste pas!
Gelures
Le froid soviétique est intense mais supportable à condition de prendre quelques précautions. Il est conseillé de ne plus faire de sport extérieur quand la température descend au-dessous de moins vingt degrés, plus de jogging, plus de ski de fond, pour éviter d’abimer les poumons.
Pour le reste c’est une question de bon sens. Il vaut mieux ne pas se soulager, braguette ouverte, en pleine nuit par -30°C ! C’est ce qu’a fait un spécialiste français. Il a eu les c…es gelées ! Les soviétiques en rient encore!!!
Nuit
Oufa est à peu près à la même latitude que Copenhague. En juillet la nuit dure a peine 4 heures. Sans volet, il est difficile de dormir.
L’hiver, le soleil est si bas qu’il est rougeâtre, il ne chauffe pas, on dirait une image !
Froid
En Bachkirie, il peut faire -50°C. Déjà à -20°C avec du vent fort, c’est très pénible.
Ma veste de fourrure, faite en morceaux de ragondin n’est pas suffisante: le vent et le froid s’engouffrent à chaque couture. Un manteau pleine peau, genre mouton retourné, protège mieux. N’en n’ayant pas, ma combinaison de ski molletonnée et un gros manteau ont fait l’affaire. La chapka (toque de fourrure) est indispensable.
En France, J’avais acheté des sous-vêtements Damart, je n’ai pratiquement jamais pu les mettre. Les appartements, les bureaux, les magasins sont surchauffés entre 27°C et 30°C. Avec un tricot de peau, je suis obligée de « m’éplucher »: enlever successivement les gants, le manteau, la toque, le gros pull, le pull fin, et finalement d’abandonner la queue et de sortir du lieu fermé. Au théâtre, on enlève même ses boots pour mettre des souliers.
J’ai passé des nuits dans des hôtels à avoir l’impression de bouillir.
Dans l’appartement d’Oufa, nous avons mis des couvertures sur les radiateurs inréglables pour empêcher la chaleur de se répandre. J’ai enlevé le calorifuge des doubles fenêtres et j’aère dans la journée, sous l’œil ébahi de la femme de ménage bachkire.
Les soviétiques supportent très bien cette chaleur sèche. Dans les magasins ils ne se déshabillent pas du tout, même pas la toque ou les gants. En pleine chaleur, l’été les bébés ont des bonnets et des collants !
En URSS pour moi ça n’a pas été:
« Froid, moi ? Jamais! »
Mais « Trop chaud, oui, toujours! »
Dégel
Le sol commence à dégeler par le dessus. Quand il pleut à ce moment, l’eau ne pénètre pas, le sous-sol et les canalisations étant encore glacés. Il faut alors faire très attention car il manque des plaques d’égout. Marchant dans une flaque de dix centimètres, on peut soudain disparaître dans trois mètres d’eau sale
… renouvelant ainsi le gag de Louis de Funès dans » Le petit baigneur » !!
Choix de neige
Le printemps et l’été sont concentrés entre mai et mi-août. Les plantes en mettent donc un coup pour effectuer leur cycle ! Les nouvelles feuilles poussent presque à vue d’œil !
Beaucoup d’arbres, près de notre HLM, produisent en juin, un genre de « coton » qui tombe en neige légère pendant une quinzaine de jours.
Fines paillettes chatoyantes quand il fait beau et très froid, blizzard cinglant, gros flocons à la mi-saison, « coton » ensuite, la neige est plus variée que l’architecture de la ville!
Espaces verts l’été… blancs l’hiver
Moustiques
De nombreux jardins ou parcs assez grands agrémentent la ville.
L’hiver, il fait vraiment trop froid pour s’y promener longtemps. Aussi nous réjouissons-nous à l’avance des balades aux beaux jours.
Las ! Avec la chaleur est apparue une myriade de moustiques énormes et voraces. En plein soleil, ils sont supportables – c’est le soleil qui l’est difficilement!! Quand nous marchons à l’ombre d’une allée boisée, nous imitons les bachkirs. Cela consiste à: couper une branchette, faire des moulins à vent pour chasser les moustiques, et de temps en temps se flageller pour en écraser !
Les moustiques tiennent un rôle dans la vie des soviétiques. L’usine traîne à commencer sa production. Un jour d’été, où il fait bien chaud, l’ingénieur bachkir demande à mon mari:
-« quand cet atelier va-t-il démarrer? J’ai un plan à respecter. Sinon, je suis exilé en Sibérie. »
Mon mari, responsable en rien du retard, lui répond distraitement:
-« Au moins vous aurez moins chaud là-bas.
-Oui et j’aurai aussi des moustiques gros comme des tupolevs! »
Les bachkirs n’ont pas pu continuer l’exploitation de l’atelier et nous avons compris sur une traduction de la « Pravda », que cet ingénieur avait effectivement été exilé en Sibérie. Il doit se faire manger par les énormes moustiques.
Le zoo
est assez maigre: des loups, un caribou, trois cerfs, un aigle, un ours, des chevaux, des écureuils, des oiseaux. Les cages sont en bon état, mais sombres, en forêt. Ce qui frappe… ou plutôt ce qui pique le plus… ce sont les moustiques!
Jardin des plantes
Un espace vert est intitulé « jardin des plantes ». Rien de bien rare ni de bien original. Mon amie qui s’y connait, a reconnu un grand nombre d’espèces… en se penchant bien et en écartant les mauvaises herbes.
Les monuments
La maison de la culture « pétrochimie »
est splendide, avec du marbre partout, en bon état; l’industrie de la pétrochimie y met manifestement beaucoup d’argent.
Nous pouvons y pénétrer et nous y promener à notre guise. Nous rencontrons beaucoup de jeunes. Trois d’entre eux découpent des poupées en papier très curieuses et astucieuses; ensuite ils apprendront aux enfants à les confectionner. Dans un autre atelier, on fabrique des objets en copeaux de bouleau, ailleurs de la poterie.
Partout de l’ordre, du luxe même ! Assez irréel !
Le palais de la culture « chimiste »
a été construite et fonctionne avec l’argent fourni par les usines chimiques. Au milieu d’un jardin agréable, ce beau bâtiment entièrement vitré au rez-de-chaussée est flanqué d’une tour se terminant par des grilles en fer forgé surmontées de seize petites sculptures également en fer forgé, des cavaliers, des tireurs à l’arc… j’ai beau chercher dans mon souvenir et fouiller la carte postale à la loupe… je ne vois pas de faucille ni de marteau, ni d’étoile. Le tout, blanc, a une allure méditerranéenne. À l’intérieur, une serre avec un jardin exotique très inattendu, et deux musées:
L’un historique sur la guerre, banal, obligatoire pourrait-on dire. Je ne m’en souviens pas.
Le deuxième: celui du travail… fermé à clef, tout un symbole !! Trouver le responsable en possession de la clef a été long.
L’essentiel de ce musée est constitué par des vues d’avion, des photos et des maquettes de l’usine où travaillent les français, prises à un moment où celle-ci ressemblait à quelque chose. Car maintenant, après de multiples incidents et rafistolages, elle a provoqué l’étonnement d’un français récemment arrivé à l’atelier:
-« On dirait une usine bombardée »
Statues de héros
Dans de nombreuses républiques, les soviétiques ont édifié un souvenir à un homme qui s’est opposé au tzar, qui a soulevé les paysans ou les serfs contre les seigneurs. C’est Le Héros annonçant la lutte communiste.
J’ai été frappée chaque fois, par la ressemblance de sa statue à cheval avec celle du « Cavalier d’airain » représentant Pierre 1er, à Leningrad (1782). L’empereur et sa fougueuse monture se dressent sur un énorme monolithe de granit de 1000 tonnes qui sert de socle. e bloc a une forme particulière, avec une partie avancée.
À Kief, le héros du peuple ukrainien est Bogdan Jmelnitski. Le socle est en pierre de taille avec la même partie saillante. Le cheval ne lève que la patte gauche. Le cavalier a le bras droit en arrière (1888).
À Oufa, le héros est Salavat. Le cheval lève la patte droite, le cavalier le bras gauche. Le socle a encore une partie avancée!
… Et rappelons que l’original, le « Cavalier d’airain », est l’œuvre d’un français, Maurice Falconet.
Monument à l’amitié russo-…
Un monument à l’amitié russo-arménienne, russo-ukrainienne, etc., russo-bachekire, s’élève bien en vue, dans les grandes villes des républiques socialistes.
Tous ces ouvrages sont analogues dans leur esprit. Celui de Bachkirie représente deux jeunes femmes (cela peut être deux hommes, ou un homme et une femme) en costume folklorique, l’un russe, l’autre bachkir, les bras levés (encore), tenant bien haut une couronne. Les statues sont métalliques foncées, le plus souvent elles se détachent sur de la neige: l’ensemble n’est pas gai!
Même entourées de verdure, elles m’ont laissé un sentiment bizarre. Je viens seulement de comprendre pourquoi, en apprenant les violences actuelles dans les républiques caucasiennes et asiatiques: les vrais amis n’ont pas besoin de monument.
Lycée
J’aurais aimé entrer dans un lycée, surtout technique. Il faut faire une demande écrite et nous venons de proposer un grand nombre de visites qui se sont soldées par « niet », aussi j’ai laissé tomber. On m’a d’ailleurs conseillé de visiter plutôt l’enseignement supérieur; le niveau et la motivation des élèves du secondaire étant paraît-il bas. Cela n’a pas étonné les spécialistes: certains des techniciens soviétiques mis à leur disposition confondent minute d’angle et minute de temps.
Sur le chapitre des unités, je ne jetterai la pierre à personne! Gramme qui doit être symbolisé uniquement par « g », est trouvé sur les emballages français sous forme de gr, grs, gm, grm, grme, GR etc.!
Les églises
Deux petites églises orthodoxes se font face au-dessus d’un vallon. L’une est fermée, mais entretenue, l’autre est en exercice, jolie d’ailleurs, avec une iconostase riche, des peintures de Saints dans les noir, rouge, doré. Le pope est assez jeune. Parmi les pratiquants peu nombreux, de tout: hommes, femmes, jeunes, vieux, riches, pauvres. Les bachkirs sont plutôt musulmans (la mosquée est un peu plus loin).
À côté de l’église, un bâtiment avec la faucille et le marteau, sur la porte une étoile rouge. Bon poste d’observation.
Le cimetière
Au cours de nos promenades, nous avons découvert un grand cimetière signalé sur le plan de la ville seulement comme espace vert. Beaucoup de tombes sont musulmanes, reconnaissables par le croissant qui les ornent.
Les Bachkirs sont effectivement d’origine tatare et musulmane. Mais je n’imaginais pas qu’il y ait encore tant de musulmans.
J’avais lu « L’empire éclaté » d’Hélène Carrère d’Encausse. Aussi lors de la visite du vieux Bakou je me suis renseignée sur l’importance actuelle des musulmans – question éludée par la guide.
J’ai tenté de satisfaire ma curiosité à ce sujet auprès de notre accompagnateur.
-« Les soviétiques ont senti venir le danger. Ils ont pris les mesures nécessaires. Les musulmans n’ont aucune influence », m’a-t-il répondu.
…Tout le monde n’a pas l’intuition d’Hélène Carrère d’Encausse!
La tombe du soldat inconnu
À Kief des jeunes, garçons et filles, montent la garde devant la tombe du soldat inconnu. Ils sont en uniforme: redingote grise bordée d’astrakan synthétique à l’ourlet, aux manches ainsi qu’au col – ceinturons et gants blancs – calot pour les garçons – bas blancs et toque grise pour les filles.
Cette garde d’honneur, solennelle, sérieuse, est relevée tous les quarts d’heure.
Le même cérémonial a lieu à Oufa par tous les temps.
Certains jours, les jeunes sont bleus de froid, mais ils ne bougent pas.
Les trois mousquetaires
Un monument représente quatre soldats: l’un s’élance fusil dressé, l’autre sabre à la main, le troisième est à genoux fusil pointé. Tous les trois ont un air de farouches combattants. Le quatrième ne se voit pas quand on passe en car devant le groupe.
-« Tiens, voilà les trois mousquetaires » s’exclament les Français.
-« Mais pourquoi dites-vous trois, alors qu’ils sont quatre ? » demande invariablement l’interprète !
Lénine
Tous les kilomètres-carrés d’Oufa ont leur effigie de Lénine. Je n’exagère pas il est en statue, debout, main et pouce tendus comme un autostoppeur. Les soviétiques eux-mêmes le blaguent: « par-là, camarade, il nous indique où trouver du pain! »
Il est aussi en médailles, médaillons, bas-reliefs, en images dans tous les magasins, sur des fanions au-dessus des comptoirs des meilleures employées, le tout accompagné de slogans.
Un dimanche, nous traversons la Biélaïa et nous visitons le village de datchas où les bachkirs viennent cultiver leur jardin, le week-end:
pas une représentation de Lénine,
pas une étoile rouge,
pas un slogan
..Ouf !
Autres villes
Nous désirions visiter d’autres villes, c’était interdit. Ce qu’a voulu justifier Svéta, l’interprète-chef:
« Pourquoi vouloir aller ailleurs? Toutes les autres villes sont comme Oufa! »
À l’examen des photos, hormis les villes touristiques, c’est vrai!
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Peu de points de comparaison avec les récits du 18ème et 19ème siècle, sauf les moustiques, déjà présents, la chaleur et l’uniformité.
Frédéric Le Play, ingénieur des mines, en 1844, se plaint des moustiques:
« Toutefois, en balance de sa beauté et de ses avantages, chaque pays a ses inconvénients. L’inconvénient fondamental du nord de l’Oural est l’abondance des moustiques. Cette abondance est telle que nous aurions été dévorés pendant les deux nuits que nous avons passées dans les forêts, si nous n’avions eu la précaution de nous envelopper complétement la tête et les mains…
Pour en revenir aux cousins, l’abondance de ces insectes, dans le nord de l’Oural, a conduit les habitants à adopter une singulière coutume. Comme la fumée est le seul moyen de les chasser, les paysans ne marchent jamais sans un pot de terre dans lequel il y a du feu et une certaine quantité de champignons secs qui brûlent lentement en développant une fumée très épaisse. »
La température des habitations a incommodé Olympe Audouard en 1870:
« La chaleur factice qui règne dans les appartements, l’air raréfié et fétide qu’on y respire, joints à cette nourriture par trop peu substantielle, n’ont pas tardé à me rendre très anémique ».
En 1760, Charles de Beaumont d’Eon dut quitter la Russie à cause de son » climat terrible »:
« Pour se garantir de ces deux intempéries (le froid et l’humidité), on n’emploie guère d’autre ressource que les poêles, qui sont entretenus à un degré de chaleur insupportable. Il n’y a pas moyen d’éviter d’être brûlé vif dans les maisons des russes et à la cour, on fait mieux rôtir les gens qu’ailleurs. »
Théophile Gautier (1859) est un admiratif de la Russie, il reconnait:
« Les stations bâties sur un plan uniforme sont magnifiques. Leur architecture mélange agréablement pour l’œil les tons rouges de la brique et les tons blancs de la pierre. Mais qui en a vu une les a vues toutes… »