Aventuriers

Auparavant, mon mari a également effectué un démarrage d’atelier en Chine, là aussi dans une région interdite aux étrangers. En URSS comme en Chine, nous sommes partis avec des cantines très « romantiques ». Nous emportons entre autres: des médicaments (ceux que nous prenons actuellement et ceux que nous pourrions prendre – ce n’ est que prudent), des sacs plastiques alimentaires, du papier alu, de « l’ajax », du « solilaine », du « Scotch-brix », un liquide vaisselle, du « nescafé », des « bics », une lavette, une poële « tétal », un batteur a oeufs..

…l’aventure, quoi!

Roubles

De temps en temps nous partons, mon amie et moi, avec un portefeuille gonflé de roubles, les dépenser. Qu’on veuille bien me pardonner mais je vois forcément les événements avec les yeux d’une Française provinciale. Si je me promenais à Pau, rue Louis Barthou, en devant utiliser une liasse de billets, je n’aurais qu’une difficulté: le choix!

À Oufa, nous examinons donc les vitrines, une flopée de roubles en poche:

– des vêtements en tissus de mauvaise qualité, ternes, mal coupés,

– très peu de livres d’art, souvent bien abimés a force d’avoir été examinés,

-pas de bijoux en or,

– des gâteaux très, très sucrés,

– seulement des glaces à la vanille,

– des nappes… « brodées á la machine » m’a dit fièrement la vendeuse! Nous sommes arriérées de les vouloir « à la main »!

-des bibelots en bois peint; mais quand ils deviennent vraiment jolis… ils sont paya les en devises.

Nous revenons souvent bredouilles avec nos roubles.

La méthode utilisée par les Bachkires

Les bachkires sont brunes, un mélange d’asiatiques et de turques. Jeunes, elles sont très jolies. En vieillissant, elles s’empâtent souvent. Leur alimentation est faite à base de graisse, ce qui se concevait quand elles habitaient des isbas ou des yourtes mal chauffées. Elles n’ont pas su ou pu s’adapter.

Les plus aisées arborent un col et une toque en fourrure. Les autres portent un foulard noué sous le menton. Toutes, elles tiennent invariablement à la main un sac à provision et elles ont une dizaine de roubles dans leur portemonnaie. En marchant, elles passent une tête dans tous les magasins: si une vendeuse déballe un colis, automatiquement la bachkire se met en position d’acheteuse (=queue). Après elle voit si le produit lui convient ou pas – et souvent, si elle n’en a pas besoin, elle l’achète… pour l’échanger ou le vendre au marché noir.

Une interprète nous a raconté avoir pleuré pour qu’une employée lui réserve le seul anorak de qualité convenable qui venait d’être mis en vente. Il lui manquait des roubles!

Souliers

Des souliers, il n’y en a pas. Mon mari en a pourtant bien besoin d’une paire. Parmi celles qui lui conviennent, il ne reste que des pointures 35- 36 ou 45-46.

Enfin, dans un magasin, du 42. Nous ne nous attardons plus ni sur la forme, ni sur la couleur, et nous allons a la caisse pour apprendre… que là aussi, c’est réservé aux privilégiés ayant la carte du parti!

Les cartes postales,

sont de qualité médiocre. Comme partout ailleurs elles représentent les monuments de la ville.

Deux genres de cartes postales sortent de l’ordinaire. Celles vendues pendant les fêtes, où le père Noël et sa fille s’envolent dans une troïka pleine de cadeaux. Elles forment de jolis petits tableaux pleins de poésie, colorés délicatement. Et les cartes vendues pour le 1er Mai: la faucille et le marteau décorés de bouquets de fleurs.

C’est nettement plus original à envoyer qu’une carte postale avec du muguet!

Père tranquille

Les librairies contiennent surtout des œuvres politiques. Les ouvrages sont pratiquement lus sur place, aussi sont-ils tous un peu abimés, à moins d’avoir la chance de les acheter quand ils sont mis à l’étalage. Quelques livres français sont proposés à la vente de temps en temps. J’ai trouvé « Le père tranquille » de Noël-Noël, une histoire de guerre, plus exactement de résistance en France, vers 1944, avec son héros triomphant à la fin de l’histoire. C’est un livre scolaire adapté pour les élèves de l’école secondaire.

Ce culte de la guerre 40-45 se retrouve aussi dans l’enseignement du français!

Les fleurs

Les fleuristes, l’hiver du moins, ne vendent que des pots d’asparagus. Au marché, à la bonne saison, les fleurs sont présentées à plat sur les comptoirs; quand on les soulèvent elles retombent en arc de cercle et sont fanées dans la journée.

Un dimanche un soviétique frappe chez nous pour demander un service, des roses à la main. J’ai de la peine à m’empêcher de rire toutes les fleurs du bouquet, qu’il tient bien droit, ont les corolles vers le bas! La dernière personne à m’offrir un tel bouquet, était mon fils à l’âge de 3 ou 4 ans. C’étaient des fleurs des champs qui avaient séjourné sur la custode arrière de la voiture.

-J’avais affectueusement embrassé mon fils en lui montrant que j’étais touchée de son attention,

-J’ai aussi chaleureusement remercié le soviétique.

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Les voyageurs cités dans le livre de Claude de Grève sont riches et célèbres. Ils étaient généralement attendus chez des russes, bien reçus et ne manquaient de rien.

Je relève néanmoins la plainte de Marie-Daniel Corbèron, attaché d’ambassade, en 1775/

« Il eut été de l’honnêteté de songer aux choses qui nous manquaient, ou du moins de nous dire un mot là-dessus; c’est là ce que j’appelle de la politesse et non la simagrée de vous faire passer le premier dans une porte, chose à laquelle M. de Juigné ne manque pas… « 

Victor d’Arlincourt renchérit de façon comique -1842-:

« Nous courions la poste depuis trente-six heures: j’eus le désir de m’arrêter, je voulais me reposer une nuit.

-Nous trouverons une excellente auberge à Hotilovo, me dit le prince Galitzin. J’arrive et j’y demande un bon lit. On me regarde d’un air étonné. Un lit! Cela paraît fabuleux: Je suis totalement incompris, je semble un être exceptionnel. Qui jamais s’était avisé de demander un lit dans l’excellente auberge de Hotilovo! À quoi bon un lit en voyage! Quand on veut changer de contrée, on n’a absolument besoin que de chevaux et de voiture. Passe encore pour un banc ou pour une chaise, si l’on s’arrête pour prendre ses repas! Mais un lit ! Quelle extravagance ne manquerait plus que de pousser l’absurdité jusqu’a demander des draps. »

Jean Chappe d’Auteroche, venu à Tobolsk en 1761 observer le passage de Vénus sur le soleil, prend ses précautions:

« Il fallait me pourvoir pour tout ce trajet de provisions de bouche de toute espèce, même de celle dont l’usage est le plus nécessaires, comme du pain, de lits, et de tous ustensiles nécessaires à la vie. »

La conclusion du Marquis de Custine:

« L’Espagne m’a paru moins dénuée que ne l’est la Russie des choses de première nécessité. »

Et à moi donc!!!