Prix d’une chambre à l’hôtel Cosmos
À l’occasion de nos déboires à Moscou, dus à l’absence de visa, nous constatons que le prix de la même chambre varie selon que nous portions comme étiquette :
-touristes dans un voyage organisé, la chambre pour deux est à 20 roubles environs.
-femmes de spécialistes, environs 50 roubles toujours pour deux.
-touristes indépendantes, environs 90 roubles.
C’est peut-être l’économie de marché pratiquée par un système qui ne l’est pas !
Les sols
Pour éviter de glisser l’hiver, les trottoirs sont faits de petits cailloux protubérants. C’est atroce de marcher là-dessus l’été avec des semelles de cuir. Compte tenu des difficultés de transmission, toutes mes lettres sont pleines de demandes de souliers ! Première paire reçue, trop pointue ! Deuxième, trop plate, avec la troisième j’ai enfin pu trotter… mais la belle saison tirait à sa fin. C’est quand même agréable de pouvoir acheter en se trompant trois paires de souliers pour le même usage. Nous lisons que Gorbatchev promet qu’en… (J’ai oublié la date) les soviétiques auront en moyenne deux paires de souliers.
Pas un trottoir qui ne soit pas fissuré ou défoncé par le gel, ou les intempéries – explique-t-on. Mais dans les magasins, les édifices publics le sol est aussi vraiment affreux, usé.
Aux nouvelles Galeries, à Pau, en rentrant je m’aperçois que le lino est pire ! Seulement six mois après il est entièrement changé.
La comète de Halley
La comète de Halley s’approche de la terre alors que nous sommes à Oufa. Nous demandons aux soviétiques l’autorisation d’aller à l’observatoire pour admirer cette fameuse comète.
Quelle histoire ! Tous les jours, mon mari renouvelle sa demande : il prend ce passage très au sérieux, dit que toute l’Europe va la voir, que c’est unique, que cela ne se reproduira que dans 76 ans… et l’interprète ne sait plus qu’inventer pour motiver le « non ».
Nous avons appris longtemps après, que la coupole de l’observatoire était coincée.
Méchanceté de ma part
En 1985 le rouble est donc automatiquement au-dessus du dollar, m’a-t-on annoncé fièrement. À cette époque le dollar correspond à 10F.
La propagande martèle constamment aux soviétiques qu’ils sont supérieurs aux autres peuples et surtout aux américains (je ne parle même pas des « petits français »).
Aussi en 89, quand j’ai entendu Gorbatchev promettre aux paysans de payer leur production supplémentaire par rapport au plan, en dollars et non en roubles –j’ai ri-.
En fait c’est une dure réalité pour eux.
Voitures
Pour acheter une voiture, il faut s’inscrire sur une longue longue liste. Elle est payée partiellement d’avance, un peu comme notre système d’épargne-logement. On n’en trouve pas de petites qui coûteraient mains cher ou qu’on aurait plus vite.
De temps en temps l’Etat octroie une possibilité d’obtention de véhicule sans délai à certaine catégorie de citoyens, par exemple aux combattants de la guerre 40-45. C’est ainsi que notre voisine possède une voiture attribuée à son père qui ne conduit plus.
Une voiture française revendue l’année de son achat perd beaucoup de sa valeur, jusqu’à un tiers, je crois. Une voiture soviétique est au contraire revendue plus chère. Cela se comprend, on paie… les dix ans d’attente évitée !
Perce-neige
Arrivant à Pâques en Bachkirie, la neige est encore abondante, le verglas sur les rues épais et les voitures rares. Dans la ville, en de nombreux endroits s’étendent des terre-pleins de neige. Au fur et à mesure que celle-ci fond, apparaissent des abris en tôle ou en planches d’où émergent petit à petit… des voitures.
Productivité
Des journaux traduits en français sont à notre disposition; les articles sont plus que barbants: discours officiels ampoulés à la gloire du Soviet Suprême, description de projets grandioses, gloire à l’armée soviétique et à ses exploits… et de temps en temps dans le courrier des lecteurs des histoires savoureuses, toujours basées sur « il faut respecter le plan ».
On y déplore ainsi que des champs de blé entiers aient été moissonnés verts, car le plan prévoyait à cette époque de mettre à la disposition des paysans concernés les moissonneuses collectives. Plus tard, au moment où les blés auraient été mûrs, les paysans n’auraient pas eu de moissonneuses !
Assez savoureuse est l’histoire de la fabrique de chaussures qui n’a pas rempli le quota prévu par le plan. Comme le contrat ne précise que le nombre, pas la nature des souliers à fournir, le directeur a eu l’idée de ne plus fabriquer… que des chaussons, beaucoup plus vite faits!
Vis-à-vis des fonctionnaires de Moscou, le plan est accompli – par contre dans la région, pendant six mois les souliers sont introuvables!
Pensées capitalistes
Nous nous efforçons de ne pas heurter les soviétiques. Mais impossible de ne pas avoir des réflexes occidentaux.
Par exemple, dans les pâtisseries, les gâteaux sont mis dans des boites en carton décorées; la ficelle pour attacher la boite est laide, en papier marron torsadé. Le papier cadeau et le ruban ne sont pas courant non plus dans les magasins.
Aussitôt nous pensons: « Quelle fortune nous ferions en vendant de belles ficelles ou des rubans ! »
A l’époque nous ajoutions » Mais non, on est en pays communiste, pas capitaliste. Cela ne les intéresse pas ».
Maintenant nous dirions: « mais si, justement! »
Insolite
Le marché que les soviétiques nomment « bazar », en est réellement un. Outre les légumes, la viande, l’épicerie, les gâteaux, les fleurs, le poisson, sont vendus des produits de toutes sortes.
Des meubles démontés, emballés dans des cartons, en provenance de Hongrie par la route, sont achetés en un clin d’œil sans être vus ni assemblés.
Un camion arrive de Tchécoslovaquie. Il contient des baskets, d’allure ordinaire. Les bachkirs se précipitent, agglutinés à la plateforme, ils se battent pour en obtenir une paire. Quand tout est fini, une gosse pleure à gros sanglots : sa mère n’a pas su jouer suffisamment des coudes et elle n’a rien!
L’objet le plus insolite mis en vente sur le marché… vous pouvez chercher… vous ne trouverez pas… ce sont des angelots joufflus, en plâtre doré, soufflant dans une trompette, avec un crochet pour les suspendre au mur!
Cette fois-ci, c’est moi qui me précipite… mais je suis seule!
Pastèques
Au milieu de l’été, arrivent sur le marché des tonnes de pastèques accompagnées de leur vendeur, basané, habillé de noir pour les hommes ou de couleurs éclatantes pour les femmes. Ils viennent du sud de l’URSS. Ils installent leurs montagnes de fruits dans de grandes cages en fer. Un matelas et un feu, également dans la cage, leur permettent de vivre là environ un mois jusqu’à l’écoulement du stock.
Ils sont mal vus des bachkirs, car ils repartent avec un très gros paquet de billets.
Les ventes sauvages des paysannes
L’été les vieilles paysannes avec des fichus et des tabliers à fleurs ou à décoration géométrique bachkire, viennent au marché proposer des fleurs, fraîches celles-là. Elles se tiennent en file, le bouquet dressé. C’est très pittoresque et coloré (photos interdites).
À l’automne, elles présentent des champignons dans des paniers en osier ou plus simplement dans des seaux en plastique; là aussi ce qui est extra à voir, c’est la rangée.
L’hiver elles tiennent devant elles, pendant de longues heures, des bonnets, des chaussettes en laine, aussi des châles tricotés très fins.
Celles qui vendent des lapins sont appuyées à un comptoir, à l’intérieur du marché, la bête devant elles. La paysanne fait semblant de discuter avec la vendeuse officielle, ou avec une autre personne. Quand on passe et qu’on la regarde, elle nous indique avec les doigts de la main combien elle en veut.
Quand arrivent des policiers, pfutt! Plus personne, plus de file !
Machine à laver le linge
La cuisine est équipée d’un lave-linge. Mes amies m’ont prévenue: « Surtout ne -t’en sers pas. Il déchire tout le linge et elle vibre tellement qu’il passera au travers du plancher »
Qu’il passe au travers du plancher, cela m’est bien égal c’est le directeur de la résidence qui habite en dessous!
C’est tellement dommage d’avoir une machine et de laver ses affaires à la main. J’ai l’intention d’essayer d’abord avec des chiffons. La machine a deux cylindres verticaux, un pour laver, un pour essorer.
Effectivement, la machine vibre et saute, beaucoup !
Effectivement, le linge est déchiré!
Au passage d’un bac à l’autre, j’inonde la cuisine.
À l’essorage, j’ai vraiment peur que l’immeuble s’écroule.
Je renonce à laver avec cette machine.
C’est ainsi que ce lave-linge, ne s’usant pas, restera dans les statistiques de l’URSS, de la CEl et du prochain nom, jusqu’à l’an 3000 !
Lavage à la main
J’ai donc beaucoup lavé. La vaisselle, tout le linge, les bouteilles de lait, les flacons de verre, mais aussi le papier aluminium et les sacs plastiques alimentaires jusqu’à ce qu’ils soient complétement troués, hors d’usage.
Si j’avais continué en France, quelles économies j’aurais faites !
Les chéquiers
Les voyages doivent être payés en devises. Nous demandons à l’interprète:
– » Peut-on payer par chèque ? »
Après hésitation – car cela les ennuient toujours d’avouer qu’ils n’ont pas ou ne connaissent pas quelque chose que nous proposons – elle répond « oui ».
Et le lendemain, elle se trouve en possession de chèques
BNP
CCP
Société générale
Crédit agricole
Banque populaire
– « Qu’est-ce que c’est que toutes ces images? » !!
Et nous n’avons pas pu payer par chèque.
Électronique
Pau est une petite ville, le progrès y arrive lentement. C’est ce qui fait son charme, et l’agrément d’y vivre. J’en suis partie en 85, sans avoir prêté attention aux appareils automatiques électroniques.
À Oufa pratiquement tout est manuel. Le boulier sert encore, les balances sont mécaniques; mais cela ne m’a pas choquée. Un magasin près de chez nous s’intitule « électronique »: il vend quelques composants, vieillots et poussiéreux, rien d’élaborés.
En rentrant à Pau en 86, tout le matériel automatique me saute à la figure: balance, paiement avec code optique, par carte bleue, gestion des stocks par ordinateur, ouverture de portes, affichage, jeux d’enfants, minitel, etc.
Je viens de changer de siècle!