Les restaurants

Les restaurants sont plutôt des endroits où les gens s’amusent et boivent (buvaient, devrais-je dire depuis « la prohibition « ) au son de musique… italienne, ou encore la danse des canards!

Je n’aime pas faire la cuisine. Mon mari est payé par les soviétiques en roubles non convertibles en francs, à dépenser sur place. Je me réjouis donc en particulier d’aller souvent au restaurant. Nous les avons tous essayés. Leur aspect est en général agréable.

Au « Yourt », nous déjeunons sous une tente tatare (yourt) doublée de tapis. Dans le hall une exposition de samovars anciens en argent retient l’attention. Nous commandons un bœuf strogonof ; C’est un vague ragoût avec des morceaux de viande pleins de gras et de nerfs.

« L’Aguidel » est décoré de poissons et attirail de pêche. Sur la carte, beaucoup de plats rayés, pas de poissons (…!…). Il reste deux plats principaux, nous en choisissons un: il ne se fait pas ce jour-là ! Au dessert nous prenons une glace au pruneau, avec joie, car jusque-là nous n’avons mangé en URSS que des glaces à la vanille. Donc pruneau c’est inattendu. On nous apporte une glace à la vanille avec une parcelle de peau de pruneau dessus ! Et pendant le repas un rat nous rend visite.

Au restaurant de l’hippodrome, il fait glacial. La vue pourrait être jolie, mais les rideaux sont tirés et défense d’y toucher ! Là aussi nous mangeons de la viande dure et tendineuse.

Nous en testons d’autres – sans succès – Le plus correct, le restaurant des « pelmenis » offre des raviolis mais pas grand-chose à voir avec leurs succulents homologues italiens. Notre dernier essai est un restaurant de poissons « l’Océan ». En entrée, on nous sert du poisson fumé froid, en deuxième plat le même poisson fumé mais chaud et ensuite impossible d’obtenir quoique ce soit: pas de légumes, pas de fromages ni laitages, pas de fruits, pas de dessert, pas de café ni seulement du thé. Nous sortons donc avec un goût de poisson fumé dans la bouche.

De façon indirecte, l’explication de cette pénurie nous est donnée par nos voisins de palier, un spécialiste vivant avec une soviétique (comment a-t-il obtenu cette faveur ? Il faut un permis spécial aux soviétiques pour entrer dans la résidence). Elle est gérante de ce restaurant « Océan ». Ce n’est pas elle qui commande le poisson, mais un fonctionnaire à Moscou avec un « plan ». Quand elle reçoit les poissons, elle se sert d’abord; nous dégustons ainsi chez elle un délicieux turbot; puis elle sert ses amis; le reste, c’est-à-dire presque rien, va au restaurant.

Les autres établissements doivent fonctionner selon la même méthode.

Nous les abandonnons et prenons nos repas chez nous.

Diner à l’hôtel

Nous dînons dans un restaurant typiquement russe (d’après le guide). Mes amies commandent du poisson, moi une côtelette de Kief: blanc de poulet enroulé, avec du beurre froid dedans, panée, grillée, délicieuse. En dessert j’inaugure…une orange (que je n’ai pas eue – après nous n’avons plus fait de fantaisie avec les desserts, nous avons dégusté « glace à la vanille »), mes amies prennent « entremet au citron avec sirop de sucre ».

Je suis servie assez vite; une convive a son dessert en début de repas. Les autres au bout de 1 heure 3/4 n’ont toujours rien ! Pour le principe on a rouspété, en russe, en français, en anglais – ça n’a rien changé ! Nous avons pu ainsi apprécier ce que le restaurant avait de typiquement russe… la lenteur!

À Leningrad, au restaurant de l’hôtel, le serveur met aussi un temps fou à nous apporter les plats. Du coup je vais voir les cuisines – et on comprend ! Elles sont loin de la salle-à-manger, très grandes, très étendues, reliées par de longs couloirs, les garçons doivent remplir des fiches… et faire la queue à des comptoirs différents pour chaque préparation ou condiment!!

Soirée au bachkir tostan

Trois personnes parlant le russe se sont déplacées plusieurs fois pour composer un menu. Une fois au restaurant… nous avons eu tout autre chose !
Quand la serveuse apporte le caviar, j’ai l’impression qu’elle amène un cendrier sale…tellement il y en a peu !
Rien d’immangeable, mais rien d’inoubliable. Pour animer la soirée, un groupe de musiciens. L’orchestre joue un morceau, s’arrête cinq minutes – cette séquence, trois fois – après il se repose vingt minutes – cela donne une ambiance folle!
Le reste de la salle est composée (supposition de ma part) de putes et de gigolos. J’ai droit à une invitation d’un de ces jeunes soviétiques. Je n’ose pas refuser, j’ai d’ailleurs pensé que c’était une blague – ou une vacherie – faite par un français. Une danse me suffit.

Rideaux

Tous les restaurants soviétiques sont dans des pièces fermées, ou bien ils ont des fenêtres avec des rideaux.
À Erévan au sommet d’une tour nous déjeunons entourés de baies vitrées masquées par des rideaux. Je me lève, tire les rideaux et nous découvrons un spectacle grandiose: les deux monts Ararat enneigés se détachant sur un ciel très bleu.

La responsable du restaurant, les yeux au loin, vient remettre les rideaux en place. Pourquoi ?

Caviar ou pizzas

Nous faisons assez souvent des repas entre tous les français. Une femme se charge d’organiser le menu avec la cuisinière de la résidence. Le début du repas est immuable: caviar. Les françaises apportent en plus, des plats de leur fabrication.
À l’une de ces réunions, voisinent en entrée le caviar et un monceau de petites pizzas délicieuses. En un clin d’œil, les pizzas sont absorbées et il reste… du caviar.

Ah, ces français, pour changer leur goût!

Invitations

Le processus est l’inverse de celui suivi en France. Ici on cherche quelque chose à manger et quand on trouve un aliment sortant de l’ordinaire, on invite. A ce jeu là, je ne suis pas souvent gagnante. Une fois un lapin, de la rhubarbe, une autre fois un gigot grâce à une interprète Svéta, rencontrée par hasard au marché: il y a la queue devant un mouton entier que le boucher débite sur un rondin et vend au fur et à mesure ; ce qui signifie que personne dans la queue ne choisit son morceau: C’est comme ça tombe! Svéta demandant un gigot pour nous, et l’obtenant, cela a fait quelques remous!
Nous n’avons pas recommencé.

______________________________________________________________________________________________________________

Les opinions anciennes sur la cuisine diffèrent peu.

Jacques Boucher de Perthes raconte:

« Si les salons de notre hôtel sont brillants et confortables, je ne saurais en dire autant de ce qu’on y sert: l’affluence des voyageurs semble avoir affamé le pays. Nous étions passé d’un extrême à l’autre: chez le généreux M. Spink, je risquais de mourir d’indigestion; ici c’est d’inanition que je crains de finir, non que la table soit précisément dégarnie, mais pour rendre mangeable ce qu’on y sert, il aurait fallu y joindre une dose de l’appétit russe et un peu de courage. Mon déjeuner du jour consiste en une soupe indigène, bouillon aqueux dans lequel nage un morceau de poule ou d’animal quelconque. Elle est suivie d’un bifteck qu’on croirait pris sur le dos du cheval d’un cosaque ou sur le cosaque lui-même. Poule et bœuf eussent résisté à la dent d’un requin. »

Et Alexandre Dumas surenchérit (1858):

« J’avoue que j’étais très disposé à gratifier le chef de l’établissement au restaurant de Samson de toutes les apostrophes du répertoire russe et même français, lorsque nous nous levâmes, ayant, par la carte, la preuve que nous avions diné, et, par notre estomac, celle que nous étions à jeun; aussi fut-ce par curiosité, et non par hygiène, que nous gagnâmes à pied le parc de Péterhof. »

Il donne son avis sur les cuisiniers:

« Ce cuisinier, quoique meilleur que celui de Kouchelef, n’en était pas moins un cuisinier russe, c’est-à-dire un être pétri de préjugés… Je fis mes observations sur le déjeuner, qui était meilleur que je ne l’attendais d’un cuisinier russe; mais je louai sans restriction un esturgeon cuit au court-bouillon, et mangé froid, sans autre assaisonnement que du raifort. Si j’ai jamais un cuisinier, c’est le seul plat que je lui permettrai d’emprunter à la cuisine russe. »

Notre repas inachevé à « L’Océan » est la copie de la mésaventure arrivée en 1799 à Jean- François Georgel:

« Un traiteur vint nous offrir ses services. Il nous fit à manger et nous servi dans notre appartement, à un rouble et demi par tête, sans vin ni café ni dessert. »

Les circuits alimentaires sont donc désorganisés depuis longtemps – et longtemps encore fonctionnera le réseau parallèle fait de copains et de de combines.

Ce « socle-là » n’est pas prêt de s’effriter!